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Le blog de Cendrine BERTANI

Le parcours d'une jeune romancière confrontée au monde de l'édition.

"Messaline et Lavarcame : Chienne contre Louve"

Publié le 5 Février 2010 par Cendrine BERTANI in L'avant-première du vendredi

image-vestale.jpgExtrait n°2 
La Louve de Bretagne

Rome, 47 après J-C 

       Messaline, presque entièrement dissimulée sous un manteau noir, s’était mêlée au cortège des pleureuses et des veuves de la cité, sans que nul ne remarque sa présence. Présage funeste pour l’Empereur : l’Impératrice considérait-elle qu’elle n’avait plus d’époux ? Evoluant dans le sillage de ces âmes en peine, Messaline ne divaguait pas au hasard. L’impératrice espérait se rapprocher d’une jeune femme en souffrance, qu’elle traquait depuis des semaines. La chienne était sur le point d’attaquer sa proie.

       Junia Silana n’avait commis aucun acte coupable. Son seul tort était d’être l’épouse de Caïus Silius, l’amant de l’impératrice putain. La matrone savait qu’elle était trahie, mais qui pourrait refuser sa couche à la reine, si celle-ci l’exigeait ? Depuis des mois, Messaline souhaitait voir Junia rejoindre ses ancêtres. Quelle meilleure occasion que la fête des morts ?
       La cité vibrait au rythme des chants lugubres. L’invocation sacrée des vestales, seules taches de lumière dans cet univers sombre et grimé, résonnait dans les rues saturées de monde. Le meurtre ne serait pas discret. Au contraire. Mais avec tout ce public, il passerait inaperçu. Combien de temps faudrait-il avant qu’un passant ne réagisse, ne comprenne que la matrone romaine allongée dans une ruelle ne faisait pas un malaise, mais avait cessé de vivre ? Des silhouettes noires, masquées pour la plupart, à l’effigie d’une mère ou d’une grand-mère, pour invoquer le repos de leurs âmes, il y en avait tant ! Le plus dur serait de reconnaître Junia Silana sous cet accoutrement…

       Messaline calqua son pas sur celui des patriciennes, qui se déplaçaient en groupe. L’allure altière de ces matrones trahissait leur origine sociale : le port hautain était reconnaissable même sous un drap noir.

       Au détour d’une allée, Messaline fit exprès de poser sa sandale sur le pan de la robe de sa proie. La jeune femme – c’en était bien une d’après son cri de surprise étouffé - fut obligée de s’arrêter un moment, afin de remettre en place la ceinture nouée qui retenait sa stola. La matrone patricienne dut ainsi s’isoler, au coin d’une ruelle.

      En un clin d’œil, tout fut terminé. La lame effilée d’un poignard brilla dans la nuit, et s’enfonça avec tant de facilité dans la poitrine du fantôme noir que Messaline en fut déçue. Le sang coulait si sombre dans ce lieu mal éclairé, que l’impératrice ne voyait même pas l’ampleur de la blessure, sur le tissu d’encre.

      Avec plus de sadisme qu’un prédateur, Messaline caressa de sa blanche main le sein rival, et elle jouit de voir ses doigts se teinter de rouge. C’était donc là l’objet chéri de Silius, son épouse fidèle, sa compagne ?… L’impératrice porta son index à ses lèvres, et redessina sa bouche, voluptueusement, comme une putain se maquille avant de recevoir ses amants sur sa couche. Quand elle eut essuyé le sang qui lui souillait les mains, Messaline tenta de calmer les palpitations de son cœur.
       Il fallait qu’elle ait la preuve que Junia ne vivait plus. Alors la scélérate ôta le masque qui dissimulait le visage pâle de sa victime. La patricienne respirait-elle encore ?

       Messaline poussa un cri de rage en découvrant une inconnue. Ce n’était pas Junie. Comment avait-elle pu se laisser tromper de la sorte ? N’avait-elle pas entendu une camarade de la jeune femme l’appeler par ce nom ? Peut-être, mais ce n’était pas sa Junie, sa rivale. Le cri de frustration et de désespoir passa inaperçu au milieu des lamentations d’usage.

       Comment réagirait l’épouse de Silius en découvrant que son homonyme avait trouvé la mort au détour d’une ruelle ? La vraie Silana serait-elle assez avisée pour quitter Rome ? Silius accepterait-il que son épouse s’éloigne de lui, pour son bien ?

        En attendant, le crime paraissait si désintéressé que c’était pure malveillance : la victime n’avait pas été volée… Messaline se hâta en direction de Flavie, qui assistait à la cérémonie des vestales, près du pont Sublicius. Il ne devrait pas être si difficile de trouver un pervers pour déflorer une belle patricienne dont le corps était encore chaud. Flavie connaissait tous les dévoyés de Rome. Lorsque le préfet retrouverait une victime violée, puis assassinée, cela brouillerait les pistes.

       Une fois de plus, Flavie s’exécuta. Au fil des années, elle était devenue l’émissaire de la déesse Hécate. La belle nourrice avait offert son âme à la déesse infernale en acceptant de servir les desseins de sa maîtresse. Il était trop tard pour regretter… Mais cette nuit, Flavie avait assisté à un incident qui avait mis un peu de baume dans son cœur blasé par tant d’atrocités.

       La nourrice avait cru voir la protégée de Claude, Lavarcame, cette Bretonne qui se faisait passer pour une vestale, dans les bras d’un chevalier plutôt bel homme. Et la plantureuse Flavie avait projeté avec gourmandise de jeter son dévolu sur cet étranger descendu à Rome.
       "Pauvre cocu, murmura-t-elle en songeant à l’empereur Claude. Tu ne vois donc pas que tes deux épouses sont en train de t’échapper"…

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